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Spartaco

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spartaco

Voilà trente ans que la piscine est fermée. Il n’y a plus rien. Mais tout y est. 

Le verre brisé vient me griser, me percuter des cent échos épars d'une enfance tenace que rien n’efface; de toutes ces voix de mômes qui trouvent l'envol des rois sur les carreaux béton de leur royaume; ces voix pressantes, caressantes, résonnantes dans mon corps, dans les couloirs, autour des bassins et contre les piliers des plongeoirs.

Immuables, se jouant du temps comme dans tous leurs jeux, huit ans, dix, douze et leurs copains sont encore tous là, enfants souverains. 

Ils courent, sautent, rient et "pour de faux" meurent un peu, en acrobates et guerriers heureux.

Je n’y étais pas, et pourtant je me souviens.

Et le vide de la piscine n'y peut rien tandis que s’avance à l’angle ce garçon éternel, tout en élan, qui couve des yeux la planche de laquelle il fera de son prochain salto une merveille.

Mahi.

Et maintenant, je suis cette planche, avancée au-dessus de l’eau qui n’a pas disparu et jamais ne disparaîtra. Je suis cette planche craquante et souple qui se courbe juste comme il faut. Qui s’offre au rebond qui élève, faisant une courte échelle céleste à Mahi, à son audace en sourire, à sa gloire de piscine, à son défi et à sa joie gagnée. Je suis cette planche qui vibre sous ses pieds. Sous ses chevilles en ressort, et ses jambes qui s’étirent de centimètres affûtés, je suis cette planche. Et vous aussi. Vous êtes cette planche. Dans l’écrin des fous-rires verts d’arbres désormais libres, de buissons conquistadors et d’herbes rebelles qui envahissent le territoire, vous êtes cette planche qui fait de son rectangle une passerelle aux rondes pirouettes du joli môme en gloire. Vous êtes cette planche, et il n’y a rien de plus important à cet instant. 

Sous le soleil sec de l’été à mi-parcours, vous attendez que Mahi vous foule et tout son monde avec. 

Et lorsque la nuit gagne son droit sur le jour, vous attendez le retour de toutes ces voix en bataille de petits mecs.

Spartaco, Ch.1. 

 

Il est temps de pleurer un peu,

mais pas n'importe lequel .

                                                                   Dessiller - Dits III

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pleurer un peu mais pas...

Cette unique chose qui fait encore pousser quand tout redevient sec. 

                                   Dessiller - Dits III

Dans mon pays

Je t'appelle Soudain.

Un événement survient, 

C'est toi, 

Toujours

Dessiller - Dits III 

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fisher kings

disagree

disagree

disagree

In grey valleys

So much i disagree 

In diseased valleys

On Lost highway

I disa...grey

 

I disagree

Until 

The top of the Hill

Where I will meet you

My Love

And all poetry sighs

From words to hands y piel

Et te suivre en ville nouvelle 

Vibre dentelles

De mantillas olvidadas 

Frutas negros de los arboles 

Ramas abiertas de Emily, Federico,

Paul, Ida Vitale 
 

Fischer Kings

My Love

And all poetry sighs 

To agree

To agree muerte y vida 

Un genou à terre et bouche cousue 

Pour me taire

Laisser venir le vent 

Avec toi 

Dans mes cheveux 

And

         Poetry crowns for fisher kings

Poetry crowns for the fisher kings 

We are 

Poetry crowns for fisher kings

A se tenir droit en Mot-Corps, en Corps-Mots 

Muerte Viva

Cuerpos-Palabras como sola guerra. 

So here, it will

On the top of the hill

                                  Poetry crowns for fisher kings.

                      

Fisher Kings, Nymphomonde - Dits I

veines racinées

Les veines racinées

A l'heure où j'écris, le train ne passera plus.

Je sais qu'il faut rester en conquête mais avaler ce verre d'alcool maintenant me prend les reins et nous déloge de mon ventre tandis que tu ne dis rien par peur de tes propres mots comme s'ils devaient te suivre et t'assassiner au coin d'une rue, dans ce village où naguère tu m'inventais dans chaque chambre aux fenêtres ouvertes, croyant pouvoir me faire apparaitre à chaque balcon, ronde et dressée comme un panier de fruits dans lequel tu aurais planter tes dents en même temps que ton sexe tout droit de soleil t'aurait forcé à fermer les paupières d'une chaleur trop forte et à remplir tes narines d'effluves trop capiteuses; après quoi tu aurais couper ton pain d'un coup sec, pour engloutir autre chose que mon corps et moi. 

 

Je vais rester les bras ballants sans plus rien attraper du vent et me laisser morte dans ces spasmes, avec les draps qui mangeront mes larmes à ta place, me feront fantôme, et l'on se dira juste elle a disparu, elle habitait la maison courbe près de la fontaine et un jour on ne l'a plus vue, puisqu'on ne me voit plus déjà depuis notre troisième Noël des Anges, alors que je suis pourtant belle encore, mais que les yeux des gens sont trop habitués aux fleurs pour voir les arbres et qu'ils préfèrent les bouquets du dimanche qu’on leur fait tout prêts aux ramures qui dansent leur propre vent et tentent une chanson d'été qu'ils ne veulent pas entendre.

 

C'est la fin de la saison des trains. Elle a emmené notre automne avec elle et quand l'escalier craque pour secouer nos carcasses endormies, les craquements courent contre nos murs à perdre haleine sans parvenir jamais nulle part, sans combler aucun des interstices de cette demeure monstre où tu nous a mis moi, mon ventre et mes trois petits, alors que j'abîmais mon cœur aux rives d'une attente choyée et que j'ai continué cette attente jusqu'à ce que la station éteigne ses derniers feux et que le cul du dernier train se soit fait avaler par le tunnel de Nunza.

Un chien errant se tient à mes pieds alors, me regarde et part plus loin se faire avaler aussi, je m'en souviens de l'avoir poursuivi un peu pour le faire venir avec moi et qu'il y reste comme si tout n'était pas perdu, parce qu’il faut bien alors que mon vertige cesse d'une manière ou d'une autre. 

Mes yeux sont morts à présent, mes paupières ne jouiront plus de cette eau chaude et salée qui borde les rives du désir polymorphe et fait les veines racinées dans une terre insatiable, un autre pays de soi. Je voudrais fuir plutôt qu’avaler ce verre d’alcool qui finit de me rompre les os, alors que toi tu ne dis rien par peur de tes propres mots comme s'ils devaient t’égorger et laisser pisser ton sang sur la médiocrité de ton royaume pendant que le feu du foyer s’échine à étirer ses flammes pour chauffer l’air glacé de notre défaite, ce qu’il ne parvient pas à faire éructant tout au plus des étincelles aussitôt étouffées dans un trop maigre giron; et je te vois baisser ton front gris puis te tourner et m’offrir ce profil raide que tu me réserves à moi en particulier depuis que tu as laissé notre troisième Noël des Anges nous tuer tout à fait.  

 

Le train ne passera plus. Alors j’écris. J’écris pour survivre, j’écris à l’ombre des trop pleins, je m’y repose de mes soleils, j’écris aux rives des trop peu je les habille pour une fête de feu à marquer la terre. Mon pays est ailleurs. 

J’écris pour Nunza, pour moi et pour Gastone, pour nous qui ne pouvons exister. Je nous vis de mots qui glissent et sur les feuilles lisses je compose notre symphonie. Béante. Crue. J’écris pour que la spirale remonte au-delà. Les lois sont trop petites, grammaire inerte, syntaxe désenchantée. J’écris une voix, un ciel, un courant d’air. Un cri aussi. J’écris comme je cris. Et comme je jouis. J’écris en femme fontaine. Un jet de vie à tout vent. Car je crois. Je crois au pouvoir, aux empreintes, aux stigmates de mots et de Verbe libres. Réinventés. La feuille est comme la peau, j’y silhouette, j’y trace, j’y sillonne, j’y argile le désir polymorphe et les veines racinées.

Toute la chair est là déchirée, accouchée. Les déferlantes mordent. Les fulgurances atomisent. La forêt des corps s’y cabre. J’écris une autre et un autre, j’ouvre la grille et cours à perdre haleine Vers, sans savoir, sans vouloir savoir, juste Vers. Juste courir d’être vivante avec cette Autre, ou avec cet Autre. Elle. Il. Gastone et Moi. Et Nunza. Et les mots du désir polymorphe et des veines racinées. Pyromane. 

Alors, ce verre d’alcool de fin de repas que ton ordonnance nous apporte selon tes volontés toujours exaucées dans l’enceinte du château et que je dois avaler en guise d’anesthésie me prend les reins en soudard.

 

Les veines racinées, ch.1 

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la piste bleue des mondes

Suivre la vagabonde

La renifler puis la suivre

La piste bleue des mondes 

Dessiller - Dits III

Les mots en Rêves-matins 

En Cherche-phares

Conque, Nymphomonde - Dits I

Elle a laissé la géographie et la chronologie, ne gardant de l’espace et du temps que les "sentimètres", seule mesure qui vaille. 

Le dérangements des omoplates, ch.15

de papier

De papier

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Elle faisait courir son doigt

Gratter mourir chaque fois

Sur la nappe de papier

Poussant une petite boule imaginaire

Et d’un coup de griffe éloigner

Son cœur si petit qu’elle en respirait à peine

Pour sûre garder souffrance sereine.

Elle faisait courir son doigt

Poussant sa petite boule imaginaire

Son petit néant de choix

Allant et venant

Roulé boulé

Intact et rond

Petit vide basculant

Au bord du monde.

Elle en prenait soin

Chaque jour

Sur la nappe de papier

Son petit néant saigné à blanc

Pour que rien ne déborde

Et ne saborde

Sa solitude.  

SA solitude

Précieuse solitude

Celle qu’elle avait apprise

Celle qu’elle avait acquise

Bravant son âme sur champ de bataille

Pour que rien n’éclate

Sa solitude rude

Sa solitude plate.

Elle vivait là imprécise

Ivre de vide

Accrochée à la nappe

Toujours indécise

N’attendant rien

Attendant tout

Avec le bruit des autres qui tape

Et frappe le dos avachi d’une vie de chien.

Le temps passa.

Puis il passa encore.

Et soudain,

C’est une main qu’elle vit d’abord

Perdue sur son territoire

Ne ressemblant pas à la sienne

Une main d’homme

Une main épaisse

De sa paume pleine

Une main rustre et avide

Broyant le vide

D’un verre de rien qui attendait son vin.

Un serveur se pencha sans doute

Et ce fut l’explosion

Un tremblement de terre dans sa maison.

Elle mordit ses lèvres

Mais c’était trop tard

Sa petite boule l’avait quittée

Pour se fracasser

Et embrasser à plein rêve le verre de rien

Petit verre de rien où coulait maintenant

Un rouge flamboyant

Un vrai rouge un rouge écarlate

Tout sanglant de guerre contre solitude plate.

Elle mordit ses lèvres

Mais c’était trop tard

Car plus elle mordait plus son cœur s’élevait

Découvrant la main découvrant le bras

S’accrochant à l’épaule, au cou, aux mâchoires

Et de rides en sillons joyeux jusqu’au regard

Elle mordit ses lèvres mais c’était trop tard :

D’un unique trait l’homme ouvrit les siennes

Et engloutit beau comme il était

Son cœur si petit

Qu’elle en respirait à peine

Ah ! dit-elle. Enfin ! Tu es venu !

Sur la nappe en papier elle laissa son âme

Et trois sous avec

Pour les songes secs

Le serveur sourit - sans doute

Quand il vit passer

Bras sur le côté et la main tendue

Marchant résolue

En place de la vieille

Une jeune vieille femme.

De papier, Nymphomonde - Dits I

la nuque

La nuque

Ce qui devait arriver arriva un dimanche.

 

Tout n’était que chaleur et humidité dedans et dehors. Gorgé d’eau, l’air prenait en étau la maison, la coursive, le jardin autour, les plantations, comme si la rivière avait décidé de tirer tout le domaine vers elle. Imperturbable, Giacomo balançait son humeur lascive dans le hamac installé tout près des trois marches du perron. 

Il attendait le voyageur. On lui avait annoncé sa venue pour cette fin d’après-midi; laquelle n’en finissait pas de s’étirer comme un vieux chat. Le domaine se prélassait dans la lourdeur; la maison se prélassait dans la lourdeur; Giacomo se prélassait dans la lourdeur et attendait, d’une attente blanche, se laissant couler dans cette langueur dont ce pays seul lui semblait avoir le secret. 

Il avait peint toute la nuit. En vain. Plus rien ne lui venait depuis plusieurs mois. Il avait épuisé toute inspiration en même temps que tous les alcools qui lui restaient. Quant aux quelques dollars gisants au fond du bocal de Tante Ma, ils ne le mèneraient pas au-delà du mois prochain. 

Giacomo buvait sec. Suivant ses saisons à lui : des mois sans avaler une goutte précédaient des mois d’ivresses quasi ininterrompues; et ainsi de suite depuis qu’il avait posé son sac ici, longtemps auparavant. Oh oui ! Il y avait sacrément longtemps! Depuis quoi ? Allez, au moins ça ! Oui, approximativement, en calculant à la gorgée, au moins ça ! C’est dire ! 

En réalité, Giacomo ne se souvenait plus très bien. Il faut dire qu’à l’époque, il n’avait certainement guère plus de dix ans et qu’il n’avait d’ailleurs pas posé son sac volontairement. C’est sa mère qui l’avait posé ici. Elle avait posé le sac et, avec le sac, elle l’avait posé, lui. Définitivement. 

Tante Ma avait trouvé le sac marqué « Giacomo » et, à côté du sac, le gamin, rond comme une queue de pelle…A dix ans. Elle avait regardé au fond du sac, et, sous trois ou quatre vêtements, en avait extrait une bouteille, bien entamée, avec un mot dessus : "From your Dad". 

Le morveux avait atterri là en somme, du jour au lendemain, avec son héritage de bouteille. Sec, brut, sans amorti. 

Giacomo était le fruit d’une union houleuse entre une extrêmement jeune tonkinoise du delta du fleuve rouge et un soldat italo-américain si blond qu’il aurait pu passer pour un norvégien. Ce qui expliquait pourquoi Giacomo s’appelait Giacomo, mais que, malgré son quart italien et sa moitié tonkinoise, il était blond, avait les yeux gris en même temps que très étirés, ainsi qu’une taille hors norme pour le local. 

 

Tante Ma avait commencé par secouer le môme, puis l’avait aspergé d’eau claire. Après quoi, elle l’avait couché dans le hamac extérieur, loin de la bouteille, loin du sac, loin de ‘From your Dad’. Peine perdue ! Giacomo avait gardé de sa première décade ici-bas des séquelles bien visibles. A commencer par un penchant notable pour tous les liquides au-dessus de 30 ° et un nom de famille unique au monde dont l’avait affublé les gamins des environs les moins charitables et ne parlant pas anglais : « From your Dad » s’était ainsi mué en  "Fomyouda"

Et ce dimanche, Giacomo Fomyouda était dans le hamac, cuvant sa whyskéunième dérive et attendant le voyageur. 

Mais ce ne fut pas un voyageur qui vint.

Ce qui devait arriver arriva ce dimanche-là, et ce qui arriva ce fût…une nuque.  

La nuque, Ch.1

John, tu ressembles à l'espoir. Je t'habiterais bien. 

Sunset sunrise, ch.5

Là d'où je vais
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Te je manque

A tes repères te perds

Hors de frontière

Pour sûr

Je ne suis pas de ce monde

Mais ailleurs vais

Cheminant en crève-rêves

Pour que fleurs explosent

Comme ondes

Et sang puissent faire

Sur les trottoirs clochards

De l’adresse d’en bas.

 

Vois le rouge indemne

Sur l’asphalte blême !

Qu’il est fou ce rouge viscéral

Épais chaud ivre de cavale !

 

Je ne suis pas de ce monde

Mais jamais ne te perds

Toi, mon enfant, la fleur féconde

Toute faite de mon sang frais

Chromosome secret du chemin 

Là d’où je vais 

Tu viens

 

 

Là d'où de vais, Nymphomonde - Dits I 

Ecrire

Scancion
Sons
Rythme
Les mots-corps
viscéral
L'envolée
scancion
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Je suis de mots

Pillés éparpillés multipliés

Je suis de mots jusqu’aux secrètes

Iles

Suivant l’organique 

Fil

Qui remonte ma colonne vertébrale

En une flèche hallucinée

La jugulaire en cathédrale

L’orgue à parole en chair

Déployée.

 

Je suis de mots, 

Cantique de maux décortiqués

De mots, de mots, de mots.

Point.

De mots, Nymphomonde - Dits I 

Je suis de mots

Argile tempête

Des pores de peau décomposés

Partis aux quatre vents

En sillage d’images

Feu de mondes affolés

J’effleure renifle pleure gifle

A bras le corps

Les étoffes déflorées

De présages peu sages devenus prophètes

Au pays des poètes. 

Je suis de mots 

Départicule mes virgules

Au gré d’une guerre chienne

Que mon corps assène

A mon esprit vagondé

Surbondé enfoulé

De sons qui sortent et exhortent 

La terre des silences

A chanter

L’aube 

Et le crépuscule

Dis-moi Poète,

Que dis-tu ?

Quand l'oeil Bleu dont tu m'as faite

L'étreinte éreintée

Des mots tentés

S'écoule 

En encre froide

De ma pupille jusqu'à l'égout des oubliés ?

 

Ma seule peur Poète ?

Perdre l'oeil bleu dont tu m'as faite.

Dessiller - Dits III

La nuit bue

La nuit bue je t’adore

Désembuée mes paradis sont tiens

Rien ne change mais tout change déjà 

La nuit bue vaporante à tes bras

Je marche dans nos brouillards et nos alcools à me noyer de toi.  

                                                                               Sunrise sunset, Ch 10

Le zinc 1

Le zinc

Clémentine, la jeunette, dernière recrue du petit matin. Qui prend son thé, avec son téléphone greffé sur les yeux. Clémentine au masque surexpressif qui a l’air de vivre quelque chose d’extraordinaire toutes les quinze secondes, chaque fois que son appareil vibre. Clémentine, d’un autre espace-temps. Qui avale son thé et s’envole en gestes économisés alors que ses grands yeux gourmands bouffent avec impudeur son téléphone. Clémentine, papillon des écrans, qui me regarde avec fulgurance car pour moi elle a peu de temps. Tout juste un battement d’ailes à l’entrée et à la sortie. Clémentine et son extraordinaire éphémère.

Tandis que lui, là-bas, au centre des remous, c’est tout le contraire. Du temps, il n’a que cela. Je l’ai bêtement appelé Yin. Yin, totalement inattendu dans ce décor, en intru surnaturel. Yin, planté plein centre du maelström, comme s’il faisait parfaitement corps avec son assise. Yin, si apaisant. Sans doute pas si jeune que cela, mais avec des traits qui ne vieillissent pas, installé dans sa méditation profonde du matin, les yeux mi-clos, sa propre tasse en métal dans la main, un sac à dos noir avec des traces de cette poudre blanche de grimpeur sur son genou gauche - toujours celui-là. Yin, équipé d’un pantalon et de chaussures de montagnes, et posé sur sa chaise-rocher parisienne comme s’il attendait patiemment avant l’ascension du tibet que la météo du monde entier se calme. Yin, tout droit sorti de son film ascensionnel. Statue d’éternel qui diffuse sa paix au milieu du Maelstrom. Je ne peux que l’imaginer dans la même posture partout ailleurs où il pourrait être. Je le déplace ainsi assis dans le métro, puis sur un banc en plein jardin public, ou sur un muret devant l’immeuble où il a rendez-vous. Puis, je l’aide un peu plus dans sa géographie méditative, lui donne un coup de pousse sur ma carte du monde intérieure. Je le mets à l’aéroport ou au train et, quelques frontières plus tard, lui fait faire un pique-nique spirituel dans L’Hindu Kush pour, enfin, le poser au pied du massif qui lui ressemble : tellement élevé que ses sommets surgissent des nuages. Yin me fait toujours du bien, je m’attache à son voyage magique espérant qu’il ne se volatilise pas en esprit des montagnes. 

Tout à fait à droite du comptoir, occupant l’espace le plus petit possible, il y a La Souris. Quelquefois, je me dis que celui-ci est aussi vieux que moi. Mais non. Si le temps n’a pas de prise sur Yin, il semble être tombé en enclume sur La Souris dès son plus jeune âge, lui absorbant au passage tout le gras et la chair heureuse. Cet homme est sec de vie. Il s’agite discrètement et sursaute à chaque ouverture de porte, tout en s’excusant chaque fois qu’un bras lui passe sous le nez pour lâcher quelques euros sur le zinc. C’est pourtant un hôte de marque ici. La Souris a eu son kiosque des années à une centaine de mètres de là. Et il vient depuis si longtemps qu’il a pris la couleur du zinc, a fini par se courber en pichet transparent, arrosant de ces "pardon, merci, merci encore, à bientôt’" l’extrême est du bar au point d’y gagner une place étroite mais définitive.

Le zinc, ch.5

Disparaître dans un baiser de paupières closes, un baiser d'origine du monde. 

Le dérangement des omoplates, ch. 12

le zinc 2

Il pleut. Beaucoup. Absolument vertical et bruyant. Ça rebondit en bruit de cavale, sur le bitume. Des élastiques d’eau claire, à l’envers des trottoirs, choquant l’air. Il pleut, furieusement. Alors ça court, ça se presse. Tout se presse : voitures, manteaux, grands pas et petits pas. Ça se précipite dans les trous improvisés, les recoins modestes. Absorbé et digéré vite fait par les bouches de métro, dans les terriers urbanescents, dans les taupinières engorgées.

C’est rare autant de pluie en décembre. Tout le monde s’est fait faucher. Alors, ça se presse, ça s’engouffre de tous les côtés. Tout Paris est un port. Et le café, au coin de la rue, tonitrue. Les bourrasques s’engouffrent, quand s’ouvre la porte sur quelques marins des boulevards ou quidams égarés, venus s’amarrer au café du matin.Toutes les discussions tournent autour du temps et je m’amuse de leurs affaires pressantes. Plus haut, plus loin, le château d’eau comme un phare oscille, trouble dans la marée.

Il pleut démesurément. Et tout s’agite, panique, se met à vaciller. Le ciel, la rue, le monde. La pluie bat le pavé et pagaille. Le percolateur s’affole lui aussi, mais tient le pont coûte que coûte. 

L’homme en face est précis. Le geste beau et leste. A ses épaules l’air reste accroché, indécis, devant le mouvement qui pourfend. Le mouvement juste, placé, sûr. A l’image du gris habillant l’azur d’une ondée; à l’image du gris qui dans l’assurance, raconte la pluie au fond des yeux bleus. Voilà l’intense dans un visage saillant aux mâchoires denses. Voilà l’histoire qui dit, la pudeur qui danse, cachée dans les plis. Et ses fossettes accrochent un reste d’enfance au creux de sa roche ; Un air de défi, un air de jeu aux accents de feu. Pour qui s’attarde, un air dangereux.

L’homme est précis. Chaque portion de pas, chaque angle du bras sent le monde d’avance, respire un instinct pénétrant la vie comme un corps ouvert. Sur lui ton œil s’arrête. Et tu t’y reconnais de soif. Et tu t'y reconnais de faim. 

Longtemps qu’il vient... Longtemps mais jamais pour longtemps. Juste assez pour. Il est du quartier. Il est du ‘village’. Connu, parfois demandé, souvent accueilli. Juste assez pour rester comme le vent, et libre d’apparaître et de disparaître.  

Le voilà qui bascule en arrière, s’appuie en point virgule sur le dossier, d’un air inspiré, et porte à ses lèvres le café sans boire, juste pour souffler. La surface brunette tressaille. 

Maintenant, il interroge sa montre : 8 heures 30 passées. Il attend et baille.

 

Soudain, la voilà ! Mais elle n’entre pas. Elle passe le long de la vitre et presse le pas.

Il soupire. Elle a l’air en retard. Ne s’arrêtera pas.  A moins que… Il tape fort ! Fait trembler la vitre. Exige avec le poing. Il veut un sourire, un regard, peu importe qu’elle soit en retard. Il faut qu’il cueille. Il doit cueillir; une manière de retenir le samedi qui les a réunis. 

Hé je t’appelle, ma belle ! Retourne-toi !

Et elle se retourne. 

D’abord un bref instant vers moi, cherchant le son, l’endroit qui vibre. Alors, je m’applique à la mettre en lumière une seconde, aussi bien que je le peux ce matin-là. Mais elle suit juste l’onde, je ne l’intéresse pas. Elle suit l’épiderme de la vitre qui frémit jusqu'à lui, l’animal. Alors, elle lève son bras, déplie son poignet, agite sa main, fait signe. Elle est en retard... Peut-être ce soir ? Ce soir, seras-tu là ? Sept heures, indique-t-elle en faisant danser ses doigts.

Oui, oui, fait-il avec sa mâchoire. Un café du soir. Avant de rentrer. Pour se voir. Oui, oui, ça me va, et retape sur la vitre ‘au revoir’…

Elle recule, ondule et disparait. Il bascule un peu plus, et résolu, vide sa tasse d’un trait.  

Le zinc

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L’œil est noir et suspendu

Immobile et vil

Dans l’écrin de violence.

Un filtre inutile

Impuissant stérile

D’une onde d’enfance

Touche pourtant

Sa bouche

Et un bout d’ailes manquée

Nargue sous le soldat

Le petit

Au souvenir d’un abri

Désormais clos

 

Je suis grand se dit-il

Un homme un géant

Et il tait LE mot

Le premier

L’unique

Celui qui ouvre et ferme

Le mot de peur de panique

Le mot de toujours

Que son poing enferme.

Il se sent fort le petit

Démultiplié en homme

Au bout du fusil

Gavé de son jeu

Qui l’excite et l’assomme

Sa violence en bandoulière

En guise d’habits d’Achille

Indocile

Pour imiter le père

Le fusil

Il se sent fort

Ne sait pas encore

Que le mot revient

Et qu’il revient encore

En dernier matin

En râle métallique

En supplication

Ultime scansion

Ce terrible mot

Qui de la bouche à l’œil

Ramène

Dans l’écrin de violence

L’ombre de l’enfance

Déployée en suaire

Je suis grand se dit-il

Un homme un géant

Mais au creux des os

Quand loge la balle

Le dernier sursaut

L’étreinte abyssale

Lui fait expirer LE mot

Seul unique implacable

 

Maman

Le fusil, Dessiller - Dits III

le fusil

Sur moi l'encre de tes rivages 

Trace ses ors, me Cendre, me Récit

Nymphomonde - Dits I

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Je suis rien. 

Rien que Belette. 

Et c’est beaucoup.

 

Je suis de la cabosse et de la dévale. Pour moi, le temps, c’est du compte à rebours. Ça pète au bout, ça explose, ça exulte, ça dissémine, ça ramasse. Puis, ça te remet sur le vélo, tout droit, avec tes petites jambes du dimanche, qu’ont déjà pédalé toute la semaine. Et le cœur aussi. 

Suis en infarctus depuis la première minute. Rien que du battant à tout rompre au cœur. Beaucoup. 

Beaucoup trop. 

Editions Le Tripode, Mai 2024

Belette

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